Notice sur Athalie de Racine (Paul MESNARD)

Œuvres de J. Racine, revue sur les plus anciennes impressions et les autographes et augmentée de morceaux inédits, des variantes, de notices, de notes, d’un lexique des mots et locutions remarquables, d’un portrait, de fac-similé, etc. Paris, Librairie de L. Hachette et Cie.

 

 

Athalie fut, comme Esther, écrite pour la maison de Saint-Louis. Racine commença très probablement à s’occuper de la seconde de ses tragédies sacrées fort peu de temps après les brillantes représentations d’Esther, que Saint-Cyr avait données pendant le carnaval de 1689. Il nous semble qu’on peut le conclure des paroles de Mme de Caylus, lorsqu’immédiatement après avoir parlé de ces représentations, elle ajoute : « Ce grand succès mit Racine en goût : il voulut composer une autre pièce, et le sujet d’Athalie, c’est-à-dire la mort de cette reine et la reconnaissance de Joas, lui parut le plus beau de tous ceux qu’il pouvait tirer de l’Écriture sainte. Il y travailla sans perdre de temps ; et l’hiver d’après (l’hiver de 1690-1691), cette nouvelle pièce se trouva en état d’être représentée[1]. » Un an et quelques mois suffirent donc à Racine pour la composition d’Athalie. Son œuvre était sans doute achevée lorsqu’il en lut des fragments, au mois de novembre 1690, chez le marquis de Chandenier ; et il paraît que, même avant cette date, elle était connue de quelques personnes. Il n’est pas sans intérêt de recueillir les sentiments d’admiration que la lecture du nouveau chef-d’œuvre, faite à des auditeurs privilégiés, donna lieu d’exprimer à un homme de beaucoup d’esprit, ami d’ailleurs de Port-Royal, comme Racine, et par là bien préparé à entrer dans la pensée religieuse du poète. Voici ce qu’écrivait Duguet[2], le 15 novembre 1690, à une dame dont le nom est désigné par l’initiale D*** : « Aujourd’hui... j’ai passé une grande partie du jour chez M. le marquis de Chandenier[3]... M. Racine y a bien voulu réciter quelques scènes de son Athalie ; et dans le vrai, rien n’est plus grand ni plus parfait. Des personnes de bon goût me l’avaient fort vantée, mais on ne peut mettre de la proportion entre le mérite de cette pièce et les louanges ; le courage de l’auteur est encore plus digne d’admiration que sa lumière, sa délicatesse et son inimitable talent pour les vers. L’Écriture y brille partout, et d’une manière à se faire respecter par ceux qui ne respectent rien. C’est partout la Vérité qui touche et qui plaît ; c’est elle qui attendrit et qui arrache les larmes de ceux mêmes qui s’appliquent à les retenir. On est encore plus instruit que remué, mais on est remué jusqu’à ne pouvoir dissimuler les mouvements de son cœur. Comme je sais que vous aimez M. Racine, et que je l’aime avec la même tendresse, je n’ai pu retenir en votre présence les sentiments que je voudrais vous inspirer, si vous ne les aviez déjà. « Qui n’eût pensé alors, parmi les premiers auditeurs d’Athalie, que son succès égalerait, surpasserait peut-être, celui d’Esther ? Il n’en fut rien, parce que les circonstances furent moins favorables. Non-seulement l’œuvre du poète ne fut pas, cette fois, soutenue par les allusions flatteuses qui avaient tant contribué à faire goûter la première de ses pièces saintes, mais la maison de Saint-Cyr, ayant été sévèrement blâmée pour ses divertissements mondains, ne pouvait plus offrir à Racine qu’un théâtre fermé au public, privé de tout éclat, et où l’on se contenterait de cacher quelques représentations timides, bientôt abandonnées. « Mme de Maintenon, dit Mme de Caylus[4], reçut de tous côtés tant d’avis et tant de représentations des dévots, qui agissaient en cela de bonne foi, et de la part des poètes jaloux de la gloire de Racine, qui, non contents de faire parler les gens de bien, écrivirent plusieurs lettres anonymes, qu’ils empêchèrent enfin Athalie d’être représentée sur le théâtre (de Saint-Cyr) Mme de Maintenon aurait pu ne pas s’embarrasser de discours qui n’étaient fondés que sur l’envie et la malignité ; mais elle pensa différemment, et arrêta ces spectacles dans le temps que tout était prêt pour jouer Athalie. Elle fit seulement venir à Versailles, une fois ou deux, les actrices, pour jouer dans sa chambre, devant le Roi, avec leurs habits ordinaires. Cette pièce est si belle que l’action n’en parut pas refroidie ; il me semble même qu’elle produisit alors plus d’effet qu’elle n’en a produit sur le théâtre de Paris. » Sans nous demander si Mme de Caylus n’était pas quelque peu partiale pour des mystères auxquels elle était admise et pour les actrices de Saint-Cyr, comment comparer une représentation publique avec une simple récitation dans la chambre de Mme de Maintenon ? Si un grand effet fut produit, ce qui nous semble douteux, il faut remarquer du moins que ce fut devant un auditoire, à la vérité très auguste, mais singulièrement restreint. Nous devons expliquer un peu plus en détail le récit de Mme de Caylus que nous venons de transcrire. Parmi les dévots dont les scrupules s’opposèrent aux représentations d’Athalie, celui qui paraît avoir été le plus écouté est l’abbé Godet des Marais, sulpicien d’une piété solide, mais étroite, qui commençait, dans ce temps, à prendre un irrésistible ascendant sur Mme de Maintenon, et qu’elle fit nommer évêque de Chartres au commencement de l’année 1690. Au temps des représentations d’Esther, il avait été appelé à Saint-Cyr comme confesseur. Dès ses premières visites, il condamna ces spectacles. Par une destinée singulière, Racine, celui de tous nos poètes qu’inspira le mieux la religion, eut comme le privilège de donner en tout temps de l’ombrage au zèle religieux, et le trouva toujours prêt à lui susciter des obstacles. Il avait failli, dès le commencement de sa carrière, être arrêté par les anathèmes de Port-Royal. Redevenu docile à la voix de ses anciens maîtres, il avait, pour se réconcilier avec eux comme avec sa conscience, renoncé à la scène profane ; et maintenant qu’avec leur approbation et à leurs applaudissements il était entré dans une voie nouvelle, d’autres rigoristes, venus d’un tout autre côté, lui fermaient le théâtre innocent où son génie avait trouvé un asile. Nous n’avons pas nié, dans la Notice d’Esther, que des exercices de théâtre, si pieux qu’ils fussent, ne pussent avoir pour les jeunes filles de Saint-Cyr quelques-uns des dangers qu’on signalait ; mais Racine, consacrant sa muse aux louanges de Dieu, et n’osant plus aborder d’autre scène que celle d’un couvent, jouait de malheur de devenir là encore, avec Esther et Athalie, une pierre de scandale. Mme de Maintenon était depuis longtemps ébranlée par beaucoup d’objections ; Godet des Marais l’effraya décidément. M. Lavallée donne à entendre, nous ne savons si c’est d’après les Mémoires des Dames de Saint-Cyr, que, si le Roi n’eût pas obstinément refusé de faire aux plaintes dont les divertissements de la maison de Saint-Louis étaient l’objet, autant de concessions qu’en conseillait Mme de Maintenon, on eût été jusqu’à détourner Racine de continuer un travail devenu inutile. Heureusement le Roi trouva un peu outrées les exigences des zélés : « Aussi on laissa Racine achever Athalie, et on fit apprendre la pièce aux Demoiselles[5]. » Avant les représentations dans la chambre de Mme de Maintenon, il y en eut, en très petit nombre, à Saint-Cyr même, qui sont passées sous silence par Mme de Caylus, peut-être parce qu’elles ne furent considérées que comme des répétitions. C’est ainsi du moins qu’en parle le Journal de Dangeau : « Vendredi 5 janvier 1691, à Versailles. Le Roi et Monseigneur allèrent l’après-dinée à Saint-Cyr, où il y eut une répétition d’Athalie avec la musique. – Jeudi 8 février 1691, à Versailles. Il y eut à Saint-Cyr une répétition d’Athalie en particulier ; Mme de Maintenon y mena fort peu de dames. – Jeudi 22 février 1691, à Versailles. Le roi et la reine d’Angleterre allèrent à Saint-Cyr, où il y eut une répétition d’Athalie. »

Ces répétitions se firent avec une excessive simplicité. On n’avait voulu ni décorations, ni théâtre. Les jeunes actrices récitèrent la pièce dans la classe bleue, sans costumes, et n’avant que leurs habits de Saint-Cyr, auxquels il leur fut permis seulement d’ajouter quelques perles, quelques rubans[6]. La troisième de ces représentations à Saint-Cyr, quoiqu’on n’y eût pas, à ce qu’il paraît, déployé plus de pompe que dans les deux précédentes, eut plus de solennité, et rappela un peu mieux les jours brillants d’Esther, du moins par le rang illustre des invités que le Roi y amena. Outre le roi et la reine d’Angleterre, cinq ou six personnes y furent admises, au nombre desquelles était Fénelon. Le Journal de Dangeau, dont nous avons tout à l’heure produit le témoignage, fixe incontestablement cette représentation au 22 février, et non, comme l’a fait M. Lavallée[7], au 5 janvier, qui fut le jour de la première répétition. La Beaumelle a également parlé, sans en donner la date, de ce jour où Athalie fut jouée en présence de Leurs Majestés Britanniques, et aussi, dit-il, du P. de la Chaise, de Fénelon et de plusieurs ecclésiastiques. Il ajoute ce détail, dont, sur la foi de sa seule autorité, nous ne garantirions pas l’exactitude : « Mme de Maintenon pria Monsieur de Chartres de s’y trouver. Fénelon, son collègue et son ami, ne le persuada point. Pendant le spectacle, l’évêque fit aux Dames de Saint-Louis une conférence sur l’état déplorable des chrétiens qui se livrent avant le carême[8] à des plaisirs scandaleux, et sur la nécessité de lui en faire une amende honorable par le silence et par la retraite[9]. » – « Après cette représentation, dit M. Lavallée[10], le Roi céda aux prières de Mme de Maintenon, et résolut de ne plus troubler par ces sortes de divertissements la régularité de la maison... Il déclara donc que ni lui ni personne de la cour ne viendrait aux spectacles de Saint-Cyr, lesquels se passeraient dorénavant devant les Demoiselles seules et la communauté... Néanmoins l’année où fut représentée Athalie, et les deux suivantes, le Roi demanda à Mme de Maintenon que les Demoiselles vinssent quelquefois à Versailles, pour jouer, sans appareil, dans sa propre chambre, en présence des princes du sang et de quelques seigneurs de distinction. Ces représentations se firent comme il l’avait demandé. Les Demoiselles étaient amenées dans les carrosses du Roi et gardées par des dames de la cour, pieuses et âgées ; elles jouaient sans autre parure que leur habit ordinaire. » Dangeau n’a point noté ces représentations à Versailles ; nous en ignorons la date précise. Nous avons vu que Mme de Caylus n’en comptait qu’une ou deux. Cependant on doit conclure des paroles de M. Lavallée qu’il y en eut en 1691, 1692 et 1693 ; celles de 1691 ne purent avoir lieu qu’après le retour du Roi de sa campagne de Mons. Le silence de Dangeau, chroniqueur si minutieux, celui de Mme de Sévigné, toujours bien informée de ce qui faisait du bruit à la cour, prouvent d’une manière frappante à quel point on avait réussi à tenir dans l’obscurité un chef-d’œuvre qui méritait d’avoir à sa naissance l’éclat des premières représentations du Cid ou d’Andromaque[11]. Nous sommes disposé à croire qu’Athalie fut estimée à Saint-Cyr et à Versailles, mais quelle n’y fut pas admirée avec un grand enthousiasme. On avait beau ne la jouer qu’à huis clos, cet enthousiasme, s’il eût été le même que pour Esther, se fût révélé, et eût donné l’éveil au public, ce dont nous ne trouvons aucune trace. Il faut dire que toutes faciles à sentir que soient les beautés d’Athalie même à la simple lecture, cependant pour une tragédie conçue par le poète comme s’il l’eût destinée à la plus vaste scène, c’était un grand dommage d’être seulement récitée par des enfants, sans aucun appareil, alors que Saint-Cyr, aux plus beaux jours de son théâtre, n’aurait pu la représenter dignement. Emporté cette fois par son génie à des hauteurs que n’avaient point prévues ceux qui lui avaient commandé cette seconde tragédie sainte, Racine semblait avoir oublié pour quelle scène, pour quels acteurs il travaillait. Dans sa pièce, l’énergie des caractères, la vigueur des pensées eût demandé d’autres interprètes que de jeunes filles. Joas, Josabet et les chœurs étaient seuls à leur taille. Ce temple du Seigneur devenu le champ de bataille d’une grande révolution, ces troupes de lévites armés, tout cet appareil religieux et guerrier, c’était trop peut-être pour nos théâtres publics eux-mêmes. Aux dernières scènes d’Athalie, dont la pompe sacerdotale à la fois et nationale rappelle, avec plus de mouvement et d’intérêt dramatique, les dernières scènes des Euménides d’Eschyle, il en eût fallu un, ce nous semble, tel que celui d’Athènes, où de grands spectacles étaient possibles, en présence d’un peuple si nombreux, animé d’ailleurs des mêmes sentiments que le poète, et disposé à être ému par les souvenirs de son histoire religieuse. Non-seulement Racine n’eut point un semblable théâtre à sa disposition, mais pour une œuvre à laquelle la scène française ne paraissait pas en état de suffire, il n’eut pas même la modeste scène accordée à Esther. Quoi qu’en ait dit Mme de Caylus, à l’autorité de laquelle nous avons peut-être trop déféré nous-même dans un passage de notre Notice biographique, Athalie, jouée dans une chambre devant quelques personnes, dut paraître froide, parce qu’autour d’elle tout était froid, tout était disproportionné avec tant de grandeur. Si l’on admet, comme nous sommes porté à le faire, que son succès fut médiocre à la cour, l’explication que nous venons de donner suffit. On en a proposé une autre : Louis XIV aurait été blessé de plusieurs maximes trop hardies ; mais les preuves manquent, et même la vraisemblance. Dans Esther aussi il y avait eu bien des hardiesses, qui cependant n’avaient pas déplu ; et, ce qui peut réfuter plus directement la supposition d’un mécontentement du Roi, on trouve très répandue à l’époque d’Athalie l’opinion que quelques-unes des faveurs royales accordées alors au poète étaient la récompense de cette tragédie.

Athalie fut imprimée au mois de mars 1691, après les trois représentations de Saint-Cyr auxquelles on s’était fait une loi de donner si peu d’éclat, et qui par suite avaient eu si peu de retentissement au dehors. Le public se croyait sans doute averti de n’avoir pas à compter sur un chef-d’œuvre. Il lut avec des préventions qui n’étaient guère favorables. Racine d’ailleurs, qui avait longtemps, même dans les pièces où il s’était élevé le plus haut, composé avec les faiblesses de son siècle, le dépassa trop dans ses tragédies saintes, dans la seconde surtout, et le dérouta. On jugea donc qu’Athalie, malgré ses beaux vers, était sans intérêt. Les ennemis s’acharnèrent sur une œuvre si peu soutenue par l’opinion générale. Ils n’eurent pas honte de la poursuivre des plus absurdes invectives. On attribue à Fontenelle, qui, nous le croyons pour son honneur, n’était pas capable d’écrire d’aussi plates injures, cette épigramme que l’on trouve dans le Recueil Maurepas[12], où elle est rapportée à l’année 1691 :

 

Gentilhomme extraordinaire,

Poète missionnaire,

Transfuge de Lucifer,

Comment diable as-tu pu faire

Pour renchérir sur Esther ?

 

Le même recueil[13] donne aussi à la date de 1691 le quatrain suivant :

 

Racine, de ton Athalie

Le public fait bien peu de cas.

Ta famille en est anoblie,

Mais ton nom ne le sera pas ;

 

et ces autres vers :

 

Quand tu récitois Athalie,

Je disais d’une âme ravie :

« Racine est poète excellent ; »

Mais quand tout seul j’ai pu la lire,

J’ai dit : « Que l’ouvrage est méchant !

Comment a-t-il pu me séduire ? »

 

Les notes qui commentent ces petites pièces paraissent fort anciennes ; il y a peut-être, à ce titre, quelque intérêt à les recueillir. Sur le second vers de l’avant-dernière, une de ces notes dit : « Cela n’est pas tout à fait vrai ; car cette tragédie avait beaucoup de partisans, comme elle avait beaucoup de frondeurs ; aussi y avait-il de fort belles choses ; mais la matière en déplaisait avec raison, et donnait un grand relief aux défauts qui y étaient d’ailleurs. » Une autre note explique ainsi la dernière épigramme : « Racine, charmé de l’encens que les courtisans donnaient à son Athalie, les uns pour plaire à Mme de Maintenon, les autres par ignorance, ou parce que c’était la mode de louer cette pièce, l’a récitée à ceux qu’il a cru pouvoir y donner du crédit par leur approbation ; et comme il récite mieux qu’aucun comédien, il a séduit les gens les plus capables de bien juger de ces sortes de pièces, lesquels l’ayant lue en particulier imprimée, l’ont d’autant plus sûrement condamnée qu’ils étaient fâchés de l’avoir louée, séduits par le ton important dont l’auteur la leur avait prononcée. » Nous ne voulons pas reconnaître beaucoup de poids à de pareils témoignages ; mais rapprochés de ce que nous savons d’ailleurs, ils le confirment sur ce point qu’après l’impression surtout Athalie trouva beaucoup de censeurs, et que dans les premières lectures que l’auteur en avait faites elle avait été mieux accueillie. Louis Racine dit dans ses Mémoires qu’étonné de voir sa pièce s’éteindre presque dans l’obscurité, le poète s’imaginait avoir manqué son sujet, et que Boileau ne le rassurait un peu qu’en lui affirmant que le public y reviendrait.

Mme de Maintenon, s’il faut en croire la Beaumelle, était de l’avis de Boileau sur Athalie. Malgré les dédains d’une grande partie du public, elle « soutint, dit-il[14], que Racine n’avait rien fait de plus beau. » Quoi qu’il en soit, les représentations à Saint-Cyr et à la cour, mais toujours modestes, et discrètement renfermées dans une classe ou dans une chambre, furent reprises de temps à autre. Il en est question en différentes années, soit du vivant, soit après la mort de Racine. C’était bien le moins d’ailleurs de garder une place pour Athalie, lorsqu’en ces mêmes années, n’ayant point renoncé aux pièces saintes, on faisait apprendre aux Demoiselles de Saint-Cyr, et jouer en présence du Roi, le Jephté, la Judith, le Jonathas, l’Absalon, la Débora, le Saül, le Joseph, œuvres ou mauvaises ou médiocres de Royer, de Duché, de Longepierre et de l’abbé Genest.

En 1697, la présence de la jeune princesse de Savoie ranima quelque peu les exercices dramatiques de Saint-Cyr. Le Journal de Dangeau dit à la date du 6 février de cette année : « La princesse... alla à Saint-Cyr, où elle vit jouer la tragédie d’Athalie. » Lorsque la princesse de Savoie était devenue la duchesse de Bourgogne, on lit dans le même Journal sous la date du 27 février 1699, à Versailles : « L’après-dinée, Monseigneur le duc de Bourgogne et Madame la duchesse de Bourgogne virent chez Mme de Maintenon la représentation d’Athalie. On avait fait venir pour cela des Demoiselles de Saint-Cyr, qui la jouèrent fort bien. Le spectacle fut fort touchant et fort agréable ; cela se fit fort en particulier. » On était bien près des derniers jours de Racine. La disgrâce qui lui avait causé un si profond chagrin semblait alors avoir perdu beaucoup de sa rigueur. Cette représentation d’Athalie en pourrait fournir une preuve.

Ce fut en 1702 qu’Athalie eut à Versailles son moment le plus brillant, et dont on parla le plus. Dangeau mentionne dans son Journal deux répétitions de cette pièce chez Mme de Maintenon, aux dates du 28 janvier et du 11 février. La duchesse de Bourgogne s’y préparait à jouer devant le Roi. Quelques jours après, les représentations eurent lieu. Il y en eut trois ; le Journal de Dangeau en parle ainsi : « Mardi, 14 février 1702, à Versailles. Madame la duchesse de Bourgogne a joué aujourd’hui, chez Mme de Maintenon, Athalie. Le Roi y vint à deux différentes reprises ; mais il n’y put pas demeurer toujours, parce qu’il avait beaucoup à travailler avec M. de Pontchartrain. – Jeudi, 23 février 1702, à Versailles. Le soir, chez Mme de Maintenon, le Roi vit jouer Athalie à Madame la duchesse de Bourgogne. Le Roi y demeura pendant toute la pièce, qui fut parfaitement bien jouée. Monseigneur, Monseigneur le duc de Bourgogne et Madame y étaient. Monseigneur le duc de Berri y vint sur la fin. – Samedi, 25 février 1702, à Versailles. Le soir, chez Mme de Maintenon, le Roi vit encore jouer Athalie à Madame la duchesse de Bourgogne. Monseigneur, Messeigneurs les ducs de Bourgogne et de Berri, Madame, et Mme la princesse de Conti y étaient. » Le Mercure galant de février 1702 rend compte de ces spectacles de Versailles. Voici les détails qu’il donne (p. 381-385) : « On a joué trois fois Athalie de M. Racine, avec tous les ornements et les chœurs mis en musique depuis longtemps par M. Moreau, qui avait fait ceux d’Esther. Ces chœurs ont été parfaitement bien exécutés par les demoiselles de la musique du Roi. Madame la duchesse de Bourgogne a joué Josabet, avec toute la grâce et tout le bon sens imaginable, et quoique son rang pût lui permettre de faire voir plus de hardiesse qu’une autre, celle qu’elle a fait paraître seulement pour marquer qu’elle était maîtresse de son rôle, a toujours été mêlée d’une certaine timidité, que l’on doit nommer plutôt modestie que crainte. Les habits de cette princesse étaient d’une grande magnificence... Monsieur le duc d’Orléans a parfaitement bien joué le rôle d’Abner, et avec une intelligence que l’on n’attrape que lorsque l’on a beaucoup d’esprit. M. le comte d’Ayen a joué [Mathan[15]], et Madame la comtesse sa femme Salomith... Mme la présidente de Chailly s’est fait admirer dans le rôle d’Athalie, et M. le comte de l’Esparre, second fils de M. le duc de Guiche, qui n’a que sept à huit ans, a charmé dans le personnage du jeune roi Joas. M. de Champeron, qui est encore fort jeune, a très bien réussi dans le rôle du fils du grand prêtre Joad, et celui de ce grand prêtre a été joué par le sieur Baron, qui, au sentiment de tous ceux qui ont eu l’honneur d’être nommés pour voir jouer cette pièce, qui n’a été représentée que devant très peu de monde, n’a jamais joué avec plus de force. » Les renseignements que Saint-Simon donne aussi sur ces divertissements de la cour en 1702 auraient laissé plus d’incertitude en ce qui concerne les acteurs d’Athalie, parce qu’il mêle les souvenirs des représentations de cette pièce à celui des représentations de quelques autres tragédies, de l’Absalon, par exemple, que le Roi récompensa d’une pension de mille livres accordée à Duché son auteur : « Le Roi, dit-il[16], vit en grand particulier, mais souvent, et toujours chez Mme de Maintenon, des pièces saintes, comme Absalon, Athalie, etc. Madame la duchesse de Bourgogne, Monsieur le duc d’Orléans, le comte et la comtesse d’Ayen, le jeune comte de Noailles, Mlle de Melun, poussée par les Noailles, y faisaient les principaux personnages, en habits de comédiens fort magnifiques. Le vieux Baron, excellent acteur, les instruisait et jouait avec eux, et quelques domestiques de M. de Noailles. Lui et son habile femme étaient les inventeurs et les promoteurs de ces plaisirs intérieurs... Il n’y avait de place que pour quarante spectateurs. Monseigneur, et les deux princes ses fils, Madame la princesse de Conti, Monsieur du Maine, les dames du palais, Mme de Noailles et ses filles y furent les seuls admis. Il n’y eut que deux ou trois courtisans en charge et en familiarité, et pas toujours. Madame y fut admise avec son grand habit de deuil. » S’il faut regarder comme authentique une lettre de Mme de Maintenon au duc de Noailles, publiée par la Beaumelle[17], ce que M. Lavallée nous apprendra quand il sera arrivé à la correspondance de cette époque, la duchesse de Bourgogne avait eu quelque peine à obtenir le rôle de Josabet. Cette lettre sans date dans la Beaumelle serait sans doute de la fin de 1701 ou des premiers jours de 1702. Moins suspecte d’altération, elle aurait quelque intérêt, surtout parce qu’elle prouverait le goût très décidé que Mme de Maintenon avait toujours eu pour Athalie. Nous en citerons la plus grande partie : « Voilà donc Athalie encore tombée[18] ! Le malheur poursuit tout ce que je protège et que j’aime. Madame la duchesse de Bourgogne m’a dit qu’elle ne réussirait pas, que c’était une pièce fort froide, que Racine s’en était repenti, que j’étais la seule qui l’estimais, et mille autres choses qui m’ont fait pénétrer, par la connaissance que j’ai de cette cour-là, que son personnage lui déplaît. Elle veut jouer Josabet, qu’elle ne jouera pas comme la comtesse d’Ayen ; elle fera pourtant tout ce que je voudrai. Je lui ai répondu que ce n’était pas à elle à se contraindre dans un divertissement que je n’avais imaginé que pour elle. Elle est ravie, et trouve Athalie merveilleuse. Jouons-la, puisque nous y sommes engagés : mais en vérité il n’est point agréable de se mêler des plaisirs des grands... Il faudra que la comtesse d’Ayen fasse Salomith ; car sans compter ce qu’on doit à Mme de Chailly[19] qu’on fait venir pour jouer Athalie, je ne puis me résoudre à voir la comtesse d’Ayen jouer la furieuse. »

Dès les premiers temps de la Régence, l’interdiction faite aux comédiens de jouer Athalie fut levée. Le Régent, qui aimait cette tragédie, où il avait joué avec succès son rôle dans les représentations de Versailles, pensa qu’elle serait d’un grand effet sur un théâtre public, et qu’on ne devait pas lui refuser plus longtemps la scène française. Il n’était pas homme à tenir compte du déplaisir de Mme de Maintenon, qui, d’après la correspondance publiée par la Beaumelle, écrivait en ce temps-là à Mme de Dangeau[20] : « Je suis étonnée de ce que M. le cardinal de Noailles ne s’oppose point aux représentations d’Athalie. Vous croyez bien, Madame, qu’on le trouve très mauvais à Saint-Cyr. » La liberté que l’on prenait de passer par-dessus de respectables scrupules aurait eu besoin d’être excusée par une exécution brillante. Il est douteux que les comédiens aient beaucoup réussi à lui assurer cette justification. Ils représentèrent Athalie pour la première fois le mardi 3 mars 1716[21]. Voici d’abord un témoignage qui leur est favorable. Dans l’Histoire journalière de Paris[22], publiée cette même année, il est dit que « l’on doit la louange aux acteurs d’avoir représenté cette tragédie d’une manière parfaite et avec tout l’art du théâtre. » Le nouvelliste exprime seulement le regret que les chœurs aient été retranchés : c’était en effet une mutilation des plus malheureuses, et qui, d’avance connue du public, avait fait croire à des remaniements plus barbares encore. Le Mercure galant de février 1716 (p. 282), en annonçant la prochaine représentation, disait : « Quel triomphe pour M. Dancourt ! L’Athalie de Racine va briller sur la scène, revue, augmentée, embellie et corrigée par M. Dancourt ! L’esprit de M. Dancourt va ranimer les vers de ce grand homme ! » Mais la crainte n’était pas fondée ; on ne toucha pas aux vers de Racine ; la suppression des chœurs ne l’exigea pas. Après l’une des représentations données en mars 1716, le Mercure de ce même mois (p. 184) en rendit ainsi compte : « On représenta Athalie, où M. Beaubourg joua son rôle du grand prêtre très bien et bien fort. M. Dancourt fit le rôle du prophète Mathan. C’est un rôle de scélérat, qu’il joua comme il joue celui de don Juan du Festin de pierre. Mlle Desmares fit le rôle d’Athalie ; Mlle Duclos, celui de Josabet... [Elles] récitèrent leur rôle avec tant d’art et de feu que leur déclamation ravit tous leurs spectateurs. D’amies inséparables qu’elles étaient avant qu’il fût question d’Athalie, elles se sont depuis (vous n’aurez pas de peine à deviner pourquoi) juré une si forte inimitié que c’est aux motifs de leur haine que le public a la principale obligation du succès de cette tragédie, dont en effet les deux premières actrices sont dans tout le cours de la pièce deux ennemies irréconciliables. Mlle Mimi Dancourt y joua le rôle de Zacharie avec toute la noblesse et toute la grâce imaginable. Pour Joas, dont le rôle fut représenté par le fils de Laurent, concierge de la comédie, il fut admiré et applaudi de tout le monde, et, à proportion de son âge, il surpassa de beaucoup tous les autres acteurs de la tragédie[23]. » Ce Beaubourg qui joue bien fort, ces deux actrices que leur rancune échauffe, ce petit Joas qui est le meilleur de la troupe, tout cela ferait croire qu’il se mêle une assez forte dose d’ironie aux éloges que le Mercure distribue aux comédiens. Mme de Caylus dit que la pièce lui parut être « défigurée par une Josabet fardée, par une Athalie outrée, et par un grand prêtre plus ressemblant aux capucinades du P. Honoré qu’à la majesté d’un prophète divin[24]. » Quoi que l’on puisse en définitive penser des acteurs, loués par les uns, sévèrement jugés par les autres, il paraît certain que la pièce, dont on donna quatorze représentations, du 3 au 28 mars, fit une très bonne impression sur les spectateurs, au moins par son propre mérite. Dangeau en parle ainsi dans son Journal du jeudi 5 mars 1716 : « On croyait, quoique ce soit une très belle pièce, qu’elle ne réussirait pas, étant jouée par les comédiens ; cependant on nous a dit qu’elle avait eu un grand succès. » Une lettre de Mme de Dangeau à Mme de Maintenon, donnée par la Beaumelle[25], constate également ce succès : « Je suis obligée de vous dire, Madame, que tout Paris est touché d’Athalie, et qu’on en sort très édifié... Si vos dames le savaient, elles seraient peut-être moins choquées de ce que les acteurs font une profanation de ce spectacle édifiant. » Voltaire, dans son Siècle de Louis XIV[26], dit qu’Athalie, dans ces premiers temps, a fut reçue avec transport. »

À la fin du même mois de mars 1716, le lundi 30, Athalie fut jouée aux Tuileries, devant le Roi. Dangeau, à cette date, a noté cette représentation : « Le Roi vit sur les cinq heures, dans son antichambre, représenter la tragédie d’Athalie. La foule y fut fort grande, malgré le bon ordre qu’on avait apporté. » La présence d’un jeune roi, âgé de six ans, et que l’on regardait comme un autre Joas, miraculeusement conservé à la nation, au milieu de tant de morts qui avaient frappé la famille royale, donna, Louis Racine le dit dans ses Mémoires, quelque chose de touchant à ces spectacles de la cour. On y saisissait avec attendrissement les allusions qui s’offraient sans peine :

 

Voilà donc votre Roi, votre unique espérance...

Songez qu’en cet enfant tout Israël réside.

 

Il y eut, en 1721, une reprise d’Athalie devant le Roi ; ce fut le 10 juin. Le Mercure de juin et juillet 1721 (p. 153 et 154) nous fait connaître la distribution des rôles, dont quelques-uns seulement furent joués par les mêmes acteurs qui les avaient créés en 1716. Mlle Duclos s’était mise enfin en possession de celui d’Athalie ; Josabet était représentée par Mlle Dangeville ; Mathan, par Legrand ; Joas, par le petit Dangeville. Mais ce qui donna aux représentations de 1721 une grande supériorité sur les premières, c’est que Baron, qui en 1720 était rentré au théâtre, y parut dans le rôle qu’il avait autrefois joué chez Mme de Maintenon, dans celui du grand prêtre. Il y fut très admiré pour la noblesse de sa déclamation et de ses gestes, et pour une véhémence qui s’élevait quelquefois jusqu’au sublime. Athalie fut peut-être alors plus goûtée qu’elle ne l’avait été jusque-là ; l’attention des critiques se trouva rappelée sur cette belle tragédie : on en voit la preuve dans le Mercure de l’année suivante, où parut, dans les mois de septembre (p. 69-97) et d’octobre (p. 10-31), un jugement sur Athalie, très long, très détaillé, qui, à côté de peu justes censures, exprime souvent une très juste admiration, et que Louis Racine, à la fin de ses Remarques sur Athalie, n’a pas dédaigné de discuter, déclarant qu’il n’avait point mérité d’être oublié.

On trouve encore, en 1728 et 1729, Athalie jouée par Baron ; ce n’était plus alors Mlle Duclos qui remplissait le rôle de la vieille reine, c’était Mlle Lecouvreur.

Du Théâtre-Français, l’année 1756 nous ramène à Saint-Cyr. On a vu dans la Notice de la pièce précédente que, cette année, Esther avait été jouée, dans la maison de Saint-Cyr, devant la Reine, le 15 janvier. Deux mois après, le samedi 22 mars, il y eut une représentation d’Athalie, dont les Mémoires du duc de Luynes nous ont conservé le souvenir : « La Reine, lisons-nous dans ces Mémoires[27], avait dit assez positivement qu’elle n’irait point ; il ne devait y avoir que Monsieur le Dauphin, Madame la Dauphine et Mesdames La Reine n’arriva qu’à quatre heures La salle du théâtre était arrangée comme pour la tragédie d’Esther, dont j’ai parlé... La pièce fut très bien exécutée pour des pensionnaires de couvent... Ceux qui l’ont vu jouer par les comédiens ont trouvé une grande différence dans l’exécution, et cela doit être ; il y eut cependant des endroits fort bien joués ; et celle qui fit le grand prêtre paraît avoir du talent. Celle qui jouait le petit Joas joua fort bien aussi. » Voici les noms des actrices donnés par le duc de Luynes : Mlle de Cambis joua le petit Joas ; Mlle d’Escaquelonde, Athalie ; Mlle de Crécy, Joad ; Mlle de la Salle, Josabet ; Mlle d’Entremont, Zacharie ; Mlle de Beaulieu, Salomith ; Mlle de Carman, Abner ; Mlle d’Andechy, Azarias ; Mlle de Capdeville, Ismaël ; Mlle du Moustier, Mathan ; Mlle de Chabrignac, Nabal ; Mlle de la Tour, Agar. Un grand nombre de Demoiselles, dont les noms sont également cités[28], figuraient dans les troupes de prêtres et de lévites, et dans la suite d’Athalie. Le chœur des jeunes filles de la tribu de Lévi était composé de vingt-six personnes ; enfin on en compte treize qui, tour à tour, chantèrent seules. Dans les chœurs, il y avait quelques voix mâles, probablement des voix de jeunes parents des Demoiselles de Saint-Cyr.

Nous retrouvons à Saint-Cyr, plus tard encore, des preuves qu’Athalie n’y était point oubliée. Dans une visite qu’y fit Horace Walpole en 1769, les Demoiselles eurent ordre de chanter pour lui les chœurs de cette tragédie[29]. Dans d’autres pensionnats de jeunes filles, Athalie, comme Esther, même depuis que le théâtre s’en était emparé, fut représentée plus d’une fois. Une lettre de Mme de Simiane écrite à d’Héricourt à la fin de 1736[30] parle d’une de ces représentations que l’on répétait alors dans un couvent de Provence où était élevée sa petite-fille Pouponne (Mlle de Castellane). Pouponne devait jouer le rôle d’Athalie. Dans une lettre qui suit celle-ci[31], Mme de Simiane, à propos du jeu de sa petite-fille, dit quelques mots qui marquent bien la réputation différente laissée dans ce même rôle par Mlle Duclos et par Mlle Lecouvreur : « Le fort de Pouponne, c’est le sentiment... Les choses qu’elle dit le moins bien, ce sont les simples, et où il ne faut pas de déclamation : c’était le triomphe de la Lecouvreur. Pour Pouponne, il lui faut de la fureur, c’est une petite Duclos. »

Revenons au théâtre, et achevons de suite l’histoire de ce qui mérite d’y être signalé dans les représentations d’Athalie. Après Mlle Lecouvreur, le rôle où elle avait brillé fut longtemps rempli avec un très grand succès par Mlle Dumesnil ; on y admirait l’énergie terrible de son expression. Mlle Clairon s’y était elle-même essayée quelquefois en l’absence de Mlle Dumesnil, mais, suivant Grimm[32], avec peu de succès, « parce que, dit-il, c’est un rôle passionné où l’art et le jeu raisonné sont mortels. » Cependant, lorsqu’eurent lieu à Versailles les fêtes du mariage du Dauphin et de la Dauphine en 1770, Mlle Clairon, retirée du théâtre depuis cinq ans, réclama l’honneur de jouer devant la cour le rôle dont Mlle Dumesnil était en possession. Ses brigues l’emportèrent, et le jeudi 24 mai, dans la salle du nouvel Opéra à Versailles, elle joua le rôle d’Athalie. Grimm dit que les dispositions du public, irrité d’une faveur injuste, étaient telles que Mlle Clairon, eût-elle divinement joué, n’aurait pas réussi ; mais que d’ailleurs « l’on s’accorde à dire qu’elle joua mal. » Le Mercure de France parle tout autrement de son succès ; mais sa relation des fêtes du mariage semble avoir comme un caractère officiel ; et l’on peut croire à un parti pris de tout y admirer. « La demoiselle Clairon, dit ce journal, ...a joué le rôle d’Athalie de manière à ajouter encore aux regrets que cause sa retraite ; ...la demoiselle Dubois dans le rôle de Josabeth, le sieur Brizart dans celui de Joad, le sieur le Kain dans celui d’Abner... ont disputé de zèle et de talent[33]. » Il y avait là deux acteurs du moins qu’on pouvait louer sans complaisance : Brizart, qui, d’après tous les témoignages, excellait dans le personnage de Joad, et le Kain. On trouve dans le même article du Mercure d’autres détails qui se rapportent à la magnificence du spectacle. C’était la première fois que l’on jouait Athalie avec la pompe qu’elle demande. « La décoration représentant le temple de Jérusalem était parfaitement bien peinte et de la plus grande ordonnance... La partie intérieure du temple, formée par une arcade assez haute et assez ouverte pour que l’œil ne perdît rien de la noblesse et de l’élévation de l’architecture... était terminée au fond par une colonnade circulaire, au-dessus de laquelle on avait pratiqué une galerie destinée à recevoir une quantité considérable de prêtres et de peuple, dans l’instant où Joas paraît sur son trône, entouré de ses défenseurs victorieux. Il serait difficile de donner une véritable idée de la beauté majestueuse de ce spectacle, rendu encore plus frappant par les chœurs nombreux[34]... » Nous croyons qu’à ces chœurs on avait mêlé des chants qui y étaient étrangers. C’est du moins, comme nous l’apprend le Mercure de juin 1770[35], ce qui avait été fait à une répétition donnée le 3 mai précédent sur le théâtre du faubourg Saint-Germain : « On a emprunté d’Ernelinde, dit le Mercure, le chœur du serment et plusieurs morceaux de différents opéras qui font un très grand effet dans les chœurs. » Ernelinde, opéra de Philidor, était fort à la mode en 1770, où il venait d’y en avoir une reprise. On vantait comme magnifique le chœur du serment dans le premier acte :

 

Jurons sur nos glaives sanglants, etc.

 

Il avait sans nul doute été placé dans la scène VI de l’acte IV. L’effet musical pouvait être heureux ; et la musique couvre bien des choses ; toutefois elle ne dut pas obtenir grâce auprès de tout le monde pour la hardiesse un peu trop grande qu’on s’était permise, s’il faut comprendre qu’on avait mêlé aux vers de Racine les vers de Poinsinet et de Sedaine.

On suit presque sans interruption l’histoire des représentations d’Athalie, dans celle du Théâtre-Français, où l’on ne demeura jamais longtemps sans jouer cette tragédie ; mais nous ne devons nous attacher qu’aux souvenirs les plus marquants. Tels sont ceux qui sont restés du temps de Talma. Ce grand tragédien se chargea successivement des rôles d’Abner et de Joad[36]. Les critiques les plus sévères pour lui avaient reconnu le talent supérieur dont il faisait preuve dans quelques parties du rôle d’Abner, surtout aux derniers actes. Son succès cependant ne l’avait pas entièrement satisfait lui-même ; et nous voyons qu’en 1806 il avait laissé ce rôle à Lafon, qui y produisit un grand effet. C’était le temps où Saint-Prix jouait Joad, et où Mlle Georges, puis Mlle Duchesnois tentaient le rôle d’Athalie. On donna cette année plusieurs de ces représentations de la tragédie sainte, depuis le mois d’octobre. Talma, plus tard, s’attacha au rôle qui, par sa grandeur imposante, lui convenait mieux encore. Il avait, dans le personnage de Joad, à exprimer la majesté sainte d’un pontife, l’enthousiasme d’un prophète, et l’énergie d’une grande âme ; ce rôle si difficile, et pour lequel la scène risque toujours de paraître bien profane, fut un de ceux qu’il marqua fortement de l’empreinte de son génie tragique. Il ne l’aborda qu’en 1819, et pour la première fois le 10 mars, à une grande représentation qui fut donnée sur le théâtre de l’Académie royale de musique. Brizart, que nous avons nommé à l’occasion des spectacles de Versailles en 1770, avait laissé dans ce même rôle, souvent joué par lui, des souvenirs redoutables, contre lesquels depuis avait toujours vainement lutté Saint-Prix avec tous les avantages de sa belle taille, de sa physionomie et de sa voix ; Brizart, en effet, non moins imposant, avait eu dans le personnage du grand prêtre bien plus de force et de chaleur, et un pathétique qui, dans quelques scènes, arrachait, dit-on, aux spectateurs des larmes d’attendrissement et d’admiration. Quoique les vieux amateurs du théâtre, qui avaient vu Brizart, eussent de la peine à trouver en 1819 qu’il fût vaincu par Talma, ils étaient forcés d’avouer qu’il lui aurait envié la manière dont il rendait certains passages, par exemple, dans la première scène, la réplique à Abner :

 

Du zèle de ma loi que sert de vous parer ? etc.,

 

les vers de la prophétie :

 

Pécheurs, disparaissez; le Seigneur se réveille ;

 

et la fin de cette même prophétie :

 

Heureux qui pour Sion d’une sainte ferveur, etc.

 

Il y eut quatre de ces grandes représentations données à l’Opéra au mois de mai 1819. Lafon et Mlle Duchesnois y remplirent avec un grand succès les rôles d’Abner et d’Athalie. À la seconde, la recette fut de dix-sept mille francs. Les chœurs, comme nous le dirons tout à l’heure, n’avaient pas été supprimés, et contribuèrent au succès de cette brillante reprise. La mise en scène seule put être vivement critiquée. L’image du bœuf Apis et les statues assises d’Isis et d’Osiris dans le temple n’avaient pas été d’un heureux effet.

En 1847, le talent de Mlle Rachel donna un nouvel éclat aux représentations d’Athalie. Ce fut le 7 avril de cette année qu’elle joua pour la première fois dans cette pièce. Quoiqu’elle fût bien jeune pour représenter l’aïeule de Joas, elle triompha de cette difficulté ; et son succès fut grand tout d’abord. Quelques personnes, il est vrai, lui reprochèrent, à la première représentation, d’avoir exagéré la fureur ; mais tous l’admirèrent, dès ce jour-là, dans la scène VI du cinquième acte ; et dans d’autres passages l’on remarqua de très beaux effets, par exemple la profonde expression qu’elle donna à ce vers :

 

...Je serais sensible à la pitié ?

 

et la terrible ironie avec laquelle elle disait :

 

...J’aime à voir comme vous l’instruisez[37].

 

Elle joua Athalie dix-huit fois de suite, et s’y fit de plus en plus applaudir. On n’eut, dans cette reprise de 1847, à se plaindre que du retranchement des chœurs. Il est bien à regretter que si souvent, aux époques même les plus brillantes des représentations d’Athalie, le Théâtre-Français ait trouvé impossible de donner une telle œuvre dans son intégrité.

En plusieurs occasions cependant les chœurs ont été exécutés, par exemple dans cette représentation à Versailles en 1770, où, comme nous l’avons dit, l’on paraît avoir mêlé à la poésie de Racine des passages de quelques opéras. En 1786, Athalie fut donnée plusieurs fois devant la cour, pendant le voyage de Fontainebleau, et depuis à Versailles, avec les chœurs dont Gossec avait refait la musique, celle de Moreau n’étant plus jugée suffisante. Les chœurs de Gossec ont été estimés dans leur temps ; on en trouvait la musique savante et expressive ; toutefois les formes en parurent trop modernes[38].

À la ville on n’avait pas encore entendu ces chœurs de Gossec, lorsqu’en 1791 le Théâtre de la Nation put, grâce au concours que le Théâtre-Italien[39] lui prêta, donner une reprise d’Athalie où ils furent exécutés. La première représentation eut lieu sur le Théâtre-Italien, la seconde sur le Théâtre de la Nation. On vit alors paraître à côté les uns des autres les premiers sujets des deux troupes[40]. Vanhove était chargé du rôle de Joad, où il eut peu de succès. La musique de Gossec ne fut que médiocrement goûtée.

Cette musique fut cependant, après une interruption de vingt-huit ans, soumise de nouveau au jugement du public dans les représentations qu’on donna sur le théâtre de l’Opéra en 1819, et dont nous avons parlé. La symphonie dans la scène de la prophétie fut un des morceaux qui produisirent le plus d’effet, bien qu’au jugement de quelques-uns celle de Baudron[41], qu’on exécutait d’ordinaire au Théâtre-Français, fût peut-être préférable par son caractère solennel et religieux. Mais on trouva fort beau surtout le chœur qui avait été écrit pour le serment du quatrième acte. Ces vers que Racine a mis dans la bouche d’Azarias :

 

Oui, nous jurons ici pour nous, pour tous nos frères, etc.,

 

n’avaient cependant pas été destinés par le poète à être mis en musique.

Avant cette époque, Boïeldieu, pendant le séjour qu’il lit en Russie de 1803 à 1811, avait composé à Saint-Pétersbourg de nouveaux chœurs d’Athalie qui furent chantés par les magnifiques voix des cent chanteurs de la chapelle impériale. Il s’y trouvait, dit-on, de grandes beautés, ce que le nom du célèbre compositeur autorise à croire ; l’effet en fut tel que l’enthousiasme du public pour cette musique découragea la célèbre actrice, qui remplissait sur ce théâtre étranger le rôle d’Athalie (c’était Mlle Georges), et qui ne recueillait plus que la moindre part dans les applaudissements.

Les chœurs de Boïeldieu furent exécutés à Paris en 1838, à une représentation au bénéfice de Mme Paradol, qui y faisait ses adieux au public dans le rôle d’Athalie, dont elle était depuis longtemps en possession. Cette représentation eut lieu le 29 mai, et fut suivie de deux autres, où les mêmes chœurs furent encore chantés, le 2 et le 3 juin.

Au mois d’avril 1859, Athalie fut reprise au Théâtre-Français, avec des chœurs de M. Jules Cohen, qu’exécutèrent les élèves du Conservatoire. Il y eut alors un assez grand nombre de représentations, où l’on entendit la nouvelle musique ; Mme Guyon y jouait le rôle d’Athalie[42].

Avant de clore cette histoire sommaire des représentations d’Athalie, nous devons y rattacher quelques faits, qui ont leur intérêt, parce qu’ils feraient, s’il en était besoin, ressortir un des caractères du chef-d’œuvre de Racine, ce courage qu’avait admiré Duguet, cette généreuse hardiesse de sentiments qui étonne, surtout lorsqu’on pense à l’époque où la pièce fut écrite, à cette cour, à ce roi devant qui elle fut d’abord représentée, et qui avaient donné l’ordre au poète de la composer. Les tragiques grecs, qui travaillaient pour des théâtres où le peuple entier se rassemblait, ont souvent dans leurs tragédies des traits, des maximes bien propres à provoquer les applaudissements d’une nation patriotique et libre. Ces applaudissements populaires, politiques, que Racine apparemment n’ambitionnait pas à Saint-Cyr et à Versailles, son Athalie les a souvent obtenus sur nos théâtres, pour lesquels elle n’avait pas été faite. Il y aura toujours quelque chose de touchant dans cette sympathie entre l’âme de la foule et celle d’un poète qui n’avait pu chercher à la flatter par des allusions. Dans un temps où se faisait sentir l’approche de notre révolution, et où les esprits se passionnaient de plus en plus pour les idées nouvelles, des vers d’Athalie, qu’il est à peine besoin de signaler, excitèrent  un enthousiasme presque séditieux. Dans l’ouvrage auquel on a donné le titre de Mémoires de Condorcet[43], on trouve un rapport d’un inspecteur de police sur une représentation d’Athalie, qui avait eu lieu le 16 août 1787. Jamais vers de circonstance n’avaient été accueillis avec des applaudissements d’une signification plus menaçante que ceux de la grande tirade de Joad, dans la scène m du quatrième acte :

 

Loin du trône nourri, de ce fatal honneur, etc.

 

L’acteur était interrompu à chaque vers par les battements de mains[44]. De même encore en 1790, à la représentation du 23 octobre, dont nous avons eu occasion de parler, le public fit de nombreuses applications des vers de Racine aux circonstances politiques[45]. Il paraîtrait que sous le premier Empire, on s’était mis en garde contre ces manifestations importunes de l’esprit public. M. de Barante, dans sa notice sur Lemontey[46], raconte que celui-ci, alors censeur impérial des théâtres, disait à ses amis : « N’allez-vous pas voir, ce soir, Athalie par Racine et Lemontey ? » Il va sans dire que l’Athalie de Lemontey était l’Athalie expurgée de ses médisances contre le pouvoir absolu.

N’ayant pas à disserter ici sur les beautés des tragédies de Racine, nous nous sommes toujours contenté de rapporter historiquement ce qu’il peut y avoir de plus digne de remarque dans les jugements que la critique en a portés. Celle du siècle de Louis XIV a été à peu près muette sur un chef-d’œuvre d’abord peu compris. Mais le temps a mis Athalie à sa place ; et cette place est au-dessus de toutes les autres tragédies de notre grand poète. S’il s’est rencontré de nos jours des censeurs dont le paradoxe n’a pas respecté une admiration qu’en dépit de leur dissidence, on peut dire aujourd’hui si unanime, leurs attaques n’ont laissé d’autre souvenir que celui d’un scandale littéraire, auquel probablement ils s’attendaient. Il serait sans doute inutile de discuter des assertions comme celles-ci qu’« Athalie est une des pièces les plus médiocres de Racine ; » que le poète y a été entraîné « à défigurer, sans nécessité et sans raison, les principaux caractères de son drame ; » qu’il a fait « du temple une espèce d’église, et de Mathan et de Joas un bedeau et un enfant de chœur ; » que « considérée dans son plan, dans la distribution de ses moyens, dans la marche de ses idées, Athalie serait donc une pièce toute disloquée, toute trébuchante, toute boiteuse ; » que « le style d’Athalie est généralement malvenu ; » que « l’Opéra-comique d’à présent y regarderait à deux fois avant d’admettre des couplets » de facture semblable à celle des stances des chœurs ; enfin, pour couronner le tout, qu’il y a « beaucoup trop fréquemment dans Athalie des fautes de français[47]. » Des attaques de ce genre n’auraient leur intérêt historique que si elles étaient, comme celles de Subligny, l’œuvre d’une malveillance contemporaine avec laquelle Racine aurait eu à compter. Si nous désirons rappeler quelques critiques, ce sont celles qui, recommandées à l’attention par l’autorité de noms considérables dans les lettres, ont eu une grande notoriété.

Lorsque d’Olivet écrivit en 1737 ses Remarques de grammaire sur Racine, il s’abstint de l’examen d’Athalie, et rendit ainsi raison de l’exception qu’il avait faite pour cette pièce : « J’ai dû me défendre de toucher... à la dernière (tragédie de Racine) ; ...car l’Académie, il y a quelques années, entreprit de faire sur Athalie ce qu’elle fit autrefois sur le Cid. J’aurais donc manqué de respect en même temps et à ma compagnie, si j’avais osé la prévenir, et au public, si je l’avais occupé des doutes d’un simple particulier lorsqu’il se promet les décisions d’un tribunal dont l’autorité lui est connue[48]. » L’Académie songeait alors à publier sa critique, qui avait été délibérée vers 1730 ; cependant elle la garda dans ses cartons. Les éditeurs du Racine de 1807 (édition de la Harpe) eurent entre les mains une copie du manuscrit, et l’imprimèrent avec un Avertissement dans leur tome Ve[49]. M. de la Rochefoucauld-Liancourt, dans ses Études littéraires et morales de Racine[50], a donné des variantes de ces remarques de l’Académie ; il dit que d’Alembert et la Harpe se sont permis de faire des changements au travail de l’illustre compagnie, et que lui-même rétablit le véritable texte, en signalant les suppressions et additions. Il n’indique pas d’ailleurs ou il a trouvé le manuscrit authentique, et il ne nous a pas été donné de nous le procurer. Telle qu’elle a été publiée d’abord, ou telle que le texte doit en être restitué d’après M. de la Rochefoucauld (les différences ne sont pas considérables), cette critique est surtout grammaticale, et nous semble avoir à peu près les mêmes qualités et les mêmes défauts que les Remarques de l’abbé d’Olivet, à qui l’Académie aurait pu abandonner ce travail minutieux. On y trouve bien peu d’observations qui s’élèvent au-dessus des détails. Il y en a deux seulement qui ont peut-être plus de portée : l’une blâme quelques vers de la scène III du troisième acte, où le langage de Mathan a paru s’écarter de la vérité ; l’autre se rapporte à ce passage de la prophétie qui fait prévoir au spectateur les crimes futurs de Joas, et que l’on accuse de détruire ainsi l’intérêt pour le jeune roi. Nous  n’avons pas cru devoir réimprimer entièrement ces Sentiments de l’Académie sur Athalie, qui ne pouvaient, ni par leur date (nous ne parlons pas de celle de la tardive publication), ni par l’importance de la critique, être un événement littéraire comme les Sentiments sur le Cid. Nous en citons seulement dans les notes de la pièce ce qui nous a paru le plus intéressant à mettre sous les yeux du lecteur.

Voltaire a très souvent parlé d’Athalie. Il en a fait d’abord l’éloge le plus enthousiaste ; plus tard on rencontre chez lui de singulières restrictions aux louanges qu’il lui donne. Littérateur et poète, il admirait, il était charmé, ravi ; homme de parti, philosophe ennemi de la religion qui avait inspiré l’auteur d’Athalie, il se débattait, il se révoltait contre sa propre admiration ; mais par là même il en attestait la vivacité, puisqu’il ne pouvait entièrement l’abjurer en dépit d’une passion qui avait fini par la lui rendre si difficile. Dans la lettre qu’il écrivait au marquis Maffei, pour lui dédier Mérope, jouée en 1743, il disait : « La France se glorifie d’Athalie : c’est le chef-d’œuvre de notre théâtre ; c’est celui de la poésie[51]. » Il en parlait de même dans son Épître à la duchesse du Maine, en tête d’Oreste (1750) : « L’ouvrage le plus approchant de la perfection qui soit jamais sorti de la main des hommes, resta longtemps méprisé ; et son illustre auteur mourut avec le chagrin d’avoir vu son siècle, éclairé, mais corrompu, ne pas rendre justice à son chef-d’œuvre[52]. » Le plus beau rôle de la pièce fut la pierre d’achoppement où Voltaire se heurta. Ce n’est pas qu’il ait jamais nié expressément la beauté dramatique du personnage de Joad, la vigueur avec laquelle est peinte cette sublime figure ; mais cet exemple d’énergie sacerdotale l’irritait : un séditieux portant la tiare était bien plus exécrable à ses yeux que tous les tyrans couronnés. Toutes ses sympathies étaient pour Athalie, ses antipathies pour Joad. Il y a un essai de conciliation entre son admiration et son déplaisir dans ce passage du Dictionnaire philosophique[53] : « Je ferais ici l’éloge de cette pièce, le chef-d’œuvre de l’esprit humain, si tous les gens de goût de l’Europe ne s’accordaient pas à lui donner la préférence sur presque toutes les autres pièces. On peut condamner le caractère et l’action du grand prêtre Joad, sa conspiration, son fanatisme... J’avoue qu’en réfléchissant sur cet événement, on peut détester la personne du pontife ; mais on admire l’auteur. » Ailleurs il a donné beaucoup plus de développements à ses objections contre Joad. Il en eut surtout l’esprit obsédé lorsqu’il se mit à composer des tragédies où il se proposait de faire détester l’intolérance : l’une, Olympie, dans laquelle il introduisit un hiérophante, un grand prêtre, d’un caractère aussi accommodant, d’un esprit aussi soumis aux puissances de ce monde, que Joad est intraitable ; l’autre, les Guèbres, qui est un tableau de toutes les abominations des « tyrans sacrés, » et montre l’exemple consolant d’un empereur dont la puissance met si frein aux crimes des persécuteurs et des fanatiques. Il avait sans doute assez de goût pour sentir que, malgré la cause meilleure qu’il se flattait de détendre sur le théâtre, il ne pouvait pas tout à fait égaler la force et l’éloquence de Racine ; et peut-être cette conscience de son infériorité redoublait-elle sa mauvaise humeur contre Joad. À une époque où probablement il commençait à méditer son Olympie, le 20 mai 1761, il écrivait à M. de Cideville : « Athalie, qui est le chef-d’œuvre de la belle poésie, n’en est pas moins le chef-d’œuvre du fanatisme. Il me semble que Grégoire VII et Innocent IV ressemblent à Joad, comme Ravaillac ressemble à Damiens. Il me souvient d’un poème intitulé la Pucelle... Il y a dans ce poème une petite liste des assassins sacrés, pas si petite pourtant ; elle finit ainsi :

 

Et Mérobad, assassin d’Itobad,

Et Benadad, et la reine Athalie

Si méchamment mise à mort par Joad[54]. »

 

L’année suivante, dans une lettre du 8 février à Mme de Fontaine, il lui annonçait la prochaine représentation d’Olympie, à laquelle il donnait alors le nom de Cassandre : « Je ne vois pas ce qui empêcherait, disait-il, de jouer Cassandre vers la mi-carême... Je vous avoue que je me meurs d’envie de voir sur le théâtre un prêtre bon homme, qui sera le contraire du fanatique Joad, qui me fait chérir la personne d’Athalie[55]. » Lorsqu’il imprima son Olympie, il ne manqua pas d’y insérer une longue note sur un des vers de la pièce, où il fit ressortir les excellentes leçons que donnait le rôle de son hiérophante, n’épargna pas le blâme au caractère de Joad, et cette fois même commença à insinuer contre la pièce de Racine quelques autres critiques. Il cherchait par exemple à jeter du ridicule sur toute cette histoire d’Athalie, en calculant l’âge que devait avoir cette vieille reine, et qui ne pouvait pas, selon lui, être au-dessous de cent six ans ; calcul de fantaisie, qu’il a souvent depuis répété. Voici comment se terminait sa note : « J’admire, comme je le dois, la difficulté surmontée dans la tragédie d’Athalie, la force, la pompe, l’élégance de la versification, le beau contraste du guerrier Abner et du prêtre Mathan. J’excuse la faiblesse du rôle de Josabet ; j’excuse quelques longueurs ; mais je crois que si un roi avait dans ses États un homme tel que Joad, il ferait fort bien de l’enfermer[56]. » C’est en parlant de cette note, pour l’expliquer et la justifier, qu’il disait à M. de Cideville, dans une lettre du 4 juin 1763 : « J’avais dès longtemps assez d’antipathie contre le rôle de Joad... Je sais bien qu’en supposant qu’Athalie voulait tuer son petit-fils, le seul rejeton de sa famille, Joad avait raison ; mais comment imaginer qu’une vieille centenaire veuille égorger son petit-fils, pour se venger de ce qu’on a tué tous ses frères et tous ses enfants ? Cela est absurde :

 

Quodcumque ostendis mihi sic, incredulus odi.

 

Le public n’y fait pas réflexion ; il ne sait pas sa sainte Écriture. Racine l’a trompé avec art ; mais, au fond, il résulte que Joad est du plus mauvais exemple. Qui voudrait avoir un tel archevêque[57] ? »

Quelques années plus tard (1769) parurent les Guèbres. Voltaire se laissait de plus en plus entraîner sur la pente où il s’était lancé, et finissait par ne plus rien trouver de bon dans la composition de la tragédie de Racine, ne faisant grâce qu’à la belle versification. Il est vrai qu’il avait la précaution de mettre ses critiques, devenues si déraisonnables, dans la bouche d’un étranger, Milord Cornsbury, avec qui il avait eu, disait-il, une conversation à Paris, au sujet dune représentation d’Athalie. Il rapportait ainsi l’opinion de ce « digne pair d’Angleterre, » dans son Discours historique et critique a t occasion de la tragédie des Guèbres : « Je ne puis aimer le pontife Joad. Comment ? conspirer contre sa reine, à laquelle il a fait serment d’obéissance ! la trahir par le plus lâche des mensonges, en lui disant qu’il y a de l’or dans sa sacristie, et qu’il lui donnera cet or ! la faire ensuite égorger par des prêtres à la Porte-aux-Chevaux !... Athalie est une grand’ mère de près de cent ans ; le jeune Joas est son petit-fils, son unique héritier ; elle n’a plus de parents ; son intérêt est de l’élever et de lui laisser la couronne ; elle déclare elle-même qu’elle n’a pas d’autre intention. C’est une absurdité insupportable de supposer qu’elle veuille élever Joas chez elle pour s’en défaire ; c’est pourtant sur cette absurdité que le fanatique Joad assassine sa reine. Je l’appelle hardiment fanatique, puisqu’il parle ainsi à sa femme :

 

Quoi ? fille de David, vous parlez à ce traître ? etc.

 

Je fus très content du parterre qui riait de ces vers, et non moins content de l’acteur[58] qui les supprima dans la représentation suivante... Si on ne joue point Athalie à Londres, c’est qu’il n’y a point assez d’action pour nous ; c’est que tout s’y passe en longs discours ; c’est que les quatre premiers actes entiers sont des préparatifs ; c’est que Josabet et Mathan sont des personnages peu agissants ; c’est que le grand mérite de cet ouvrage consiste dans l’extrême simplicité et dans l’élégance noble du style[59]. » Voilà à quelles injustices la passion avait peu à peu conduit Voltaire contre une pièce si longtemps proclamée par lui la plus parfaite de notre théâtre. Il avait feint, à la vérité, de réfuter de son mieux Milord Cornsbury ; mais personne ne s’y trompa ; et jaloux de le flatter, ses amis lui écrivirent pour approuver, en les lui attribuant à lui-même, les critiques du seigneur anglais. On a dans ce sens une lettre du cardinal de Bernis de 1770[60], et une lettre de d’Alembert de 1769[61]. Celui-ci disait : « Je suis depuis longtemps entièrement de votre avis sur Athalie. J’ai toujours regardé cette pièce comme un chef-d’œuvre de versification, et comme une très belle tragédie de collège. Je n’y trouve ni action ni intérêt ; on ne s’y soucie de personne... Je suis persuadé que les idées de religion dont nous sommes imbus dès l’enfance contribuent, sans que nous nous en apercevions, au peu d’intérêt qui soutient cette pièce, et que si on changeait les noms, et que Joad fût un prêtre de Jupiter ou d’Isis, et Athalie une reine de Perse ou d’Égypte, cette pièce serait bien froide au théâtre... Je crois en général (et je vais peut-être dire un blasphème) que c’est plutôt l’art de la versification que celui du théâtre qu’il faut apprendre chez Racine. J’en connais à qui je donnerais un plus grand éloge, mais ils n’ont pas l’honneur d’être morts. » Était-ce à cette conclusion que l’auteur des Guèbres avait voulu amener ses admirateurs ? Quoi qu’à cet égard on puisse penser, nous venons d’entendre quels barbares jugements sur Athalie et sur le théâtre de Racine tout entier il avait encouragés et provoqués, laissant contredire, contredisant lui-même son ancienne admiration. D’Alembert avait fait une belle découverte, lorsqu’il avait cru reconnaître que le sentiment religieux contribuait quelque peu à l’intérêt d’une pièce uniquement fondée sur la religion, tout animée de son esprit ! Faites de Joad un prêtre de Jupiter, la tragédie de Racine, dit d’Alembert, restera bien froide. Nous le croyons sans peine. À une critique si puérile, et qui, sans le vouloir, prouve contre elle-même, nous ne saurions mieux faire que d’opposer quelques passages d’une autre critique aussi vraie qu’élevée. On y trouve la réponse à plus d’une objection. Voici comment M. Sainte-Beuve a parlé d’Athalie dans le chapitre XI du livre VI de Port-Royal : « Le grand personnage ou plutôt l’unique d’Athalie, depuis le premier vers jusqu’au dernier, c’est Dieu. Dieu est là, au-dessus du grand prêtre et de l’enfant, et à chaque point de cette simple et forte histoire... ; il y est invisible, immuable, partout senti Cette unité, cette omnipotence du personnage éternel, bien loin d’anéantir le drame, de le réduire à l’hymne continu, devient l’action dramatique elle-même, et, en planant sur tous, elle se manifeste par tous, se distribue et se réfléchit en eux selon les caractères propres à chacun... C’est tellement cet invisible qui domine dans Athalie, l’intérêt y vient tellement d’autre part que des hommes, bien que ces hommes y remplissent si admirablement le rôle qui leur est à chacun assigné, que le personnage intéressant du drame, l’enfant miraculeux et saint, Joas, est, à un moment capital, brisé lui-même et flétri comme exprès en sa fleur d’espérance Qu’est-ce que Joas devant l’Éternel ?... Le temple juif vu par l’œil chrétien, le culte juif attendri par l’idée chrétienne si abondamment semée aux détails de la pièce... voilà bien le sens d’Athalie.

« Athalie, comme art, égale tout. Le sentiment de l’Éternel, que j’ai marqué le dominant, et l’unique de la pièce, est si bien conçu et exprimé par l’âme et par l’art à la fois, que ceux mêmes qui ne croiraient pas seraient pris non moins puissamment par ce seul côté de l’art, pour peu qu’ils y fussent accessibles... Athalie est belle comme l’Œdipe-Roi, avec le vrai Dieu de plus[62]. » Envisagée au point de vue où le critique pénétrant s’est placé, où auraient dû se placer Voltaire et d’Alembert, n’eussent-ils cherché que « le coté de l’art » dont parle M. Sainte-Beuve, Athalie échappe aux reproches que le dix-huitième siècle ne lui adressait que pour les faire retomber sur les livres saints. Puisque ces livres seuls ont inspiré Racine, c’est en les acceptant qu’il faut juger Athalie. Voltaire était surtout irrité par le caractère de Joad. Le fanatisme séditieux, la férocité, la perfidie dont il l’accuse prennent une autre couleur et d’autres noms, dès qu’avec Racine on voit dans ce pontife le vengeur, le libérateur que Dieu arme et autorise. Dans la note que Racine a laissée parmi ses manuscrits pour justifier l’équivoque du grand prêtre[63], il est clair, par les exemples mêmes qu’il a choisis pour son apologie, qu’il a entendu réduire cette apologie à ceci : « Il s’agit de la cause de Dieu, qui peut vouloir aveugler ses ennemis : » justification sans réplique, lorsqu’il s’agit d’une pièce sacrée, œuvre d’un croyant, écrite pour des croyants. Louis Racine n’avait que faire, pour défendre Joad, de citer, dans ses Remarques sur Athalie, les opinions de Grotius tirées de son traité de Jure belli et pacis.

La Bible, étudiée et comprise à la lumière de la vérité chrétienne, voilà le modèle que s’est proposé Racine, le guide qu’il a constamment suivi. On ne prouverait nullement, comme quelques-uns ont prétendu le faire, qu’il s’en fût un moment écarté, parce que l’on montrerait un souvenir du théâtre grec qui serait venu se mêler dans son esprit aux inspirations puisées dans les saintes Écritures. Il y a certainement des rapports frappants entre un petit nombre de passages de l’Ion d’Euripide et quelques parties du rôle de Joas. Brumoy les avait signalés brièvement dans son Théâtre des Grecs[64]. M. Patin a mieux que nul autre tiré tout le parti possible de ce rapprochement, dans l’examen qu’il a fait de la pièce d’Euripide : « Nous possédons, dit-il[65], une tragédie dont la conduite est également soumise à l’influence manifeste de la Divinité, qui se passe de même dans un temple, où l’on voit, comme ici, paraître un jeune lévite dans toute l’innocence du premier âge, toute la sainteté du sacré ministère ; où, par une suite d’événements non moins merveilleux, un enfant se trouve rapproché de parents cruels qui, sans le connaître, veulent le perdre, et porté, à leur confusion, sur le trône dont ils descendent. » M. Patin fait encore remarquer que dans l’Ion on retrouve, non-seulement la beauté de quelques détails admirés dans Racine, mais « quelque chose de la naïveté enfantine de Joas, de la curiosité inquiète d’Athalie, du tour si familièrement tragique de leur entretien. » Il est vraisemblable en effet que Racine avait été frappé de cette intéressante figure du jeune néocore, élevé dans le temple d’Apollon, de cet orphelin à qui le dieu avait servi de père et de mère. Ce trait léger, à peine indiqué, du personnage de Joas a pu lui donner la première idée d’une peinture qu’il a si librement achevée. L’enfant royal, plein de grandeur dans sa naïveté charmante, n’en est pas moins sa création originale ; et si, avec la marque de son génie, cette création en porte une autre, c’est bien plus celle des livres saints que de la tragédie grecque. Il ne faut pas d’ailleurs l’oublier, la naïveté d’Ion, déjà en pleine adolescence, n’est pas précisément celle d’un enfant : différence essentielle entre lui et Joas. Ajoutons que le drame d’Euripide, noué et dénoué par la Divinité, et ayant le temple pour théâtre, ne doit pas nous faire illusion sur les emprunts que Racine a pu lui faire de ce côté : la grandeur religieuse y manque, non pas seulement celle que le paganisme ne pouvait connaître, mais celle qu’Eschyle sans nul doute y eût mise. Loin de faire à la majesté divine la place que le sujet comportait, Euripide a souvent placé dans la bouche d’Ion lui-même des réflexions qui peuvent passer pour irréligieuses. Au milieu de ses bizarreries si romanesques, sa tragédie a de grandes beautés, mais surtout dans des passages que Racine n’a pas eu à imiter.

On peut affirmer d’avance que, dans une tragédie où l’inspiration puissante et la conception originale sont aussi visibles que dans Athalie, si l’on trouvait quelque part la trace légère d’une imitation suggérée par d’autres souvenirs que par ceux des livres saints, on ne la suivrait pas loin : un emprunt plus ou moins douteux que l’on découvrirait, ne serait jamais qu’on objet de curiosité. Le Théâtre-Français, antérieur à Racine, nous avait offert quelques tragédies d’Esther ; nous n’y en avons pas rencontré sur le sujet d’Athalie ; mais il en est une dont on fait mention comme ayant paru sur une scène plus modeste. Les collèges jouaient beaucoup de pièces bibliques, écrites en latin. Une Athalia fut représentée en 1658 au collège de Clermont. Loret, dans sa Muze historique (livre IX, lettre XXXIII, du 24 août 1658), a parlé assez longuement de cette représentation, qui avait eu lieu environ cinq jours avant celui où il écrivait, et à laquelle il avait assisté lui-même, dit-il, pour quinze sols. Plus heureuse que la tragédie de Racine, l’Athalie latine fut jouée « avec appareil extrême. » Loret loue beaucoup les acteurs qui faisaient les personnages de Joas, de Josaba et de la jeune Mariane, dont il ne dit pas quel était le rôle. Il finit par l’éloge de la pièce :

 

Bien loin d’exercer la critique

Contre cette pièce tragique,

J’en ouïs qui louaient sans fin

Son intrigue et son beau latin.

La construction théâtrale

Étant magnifique et royale,

On y dansa quatre balets,

Moitié graves, moitié folets.

 

Nous ne savons si cette Athalia a été imprimée ; nous l’avons cherchée en vain. On cite une tragédie latine de Stancari Dominicus, ayant pour titre : Joas, Judææ rex. Elle nous échappe aussi ; mais personne ne croira que nous eussions trouvé dans l’une ni dans l’autre le modèle de l’Athalie de Racine.

Métastase, qu’on a surnommé quelquefois le Racine de l’Italie, a composé un Joas (Gioas[66]). Cette action sacrée (comme il l’appelle) fut représentée à Vienne en 1735 ; elle n’est nullement une de ces traductions de notre Athalie, comme il en a été fait plusieurs sur les théâtres étrangers[67] ; le sujet y est défiguré par l’introduction du rôle malheureusement conçu de Sébia, mère de Joas. C’est une œuvre faible, dont les développements sont écourtés ; mais comme l’auteur n’y a, dit-on, cherché qu’un prétexte à la musique, il semble permis de ne pas juger trop sévèrement une pièce peu digne de lui. Il suffit de dire que l’on n’a pas à y chercher des points de comparaison avec le chef-d’œuvre de Racine. Athalie, qui n’a pas eu d’ancêtres, n’a pas eu non plus de postérité.

 

Pour Athalie comme pour Esther il y a eu du vivant de Racine deux éditions séparées, l’une in-4°, l’autre in-12.

L’édition in 4°, qui est l’édition originale, a pour titre :

 

ATHALIE

TRAGÉDIE.

Tirée de l’Écriture sainte.

À Paris,

Chez Denys Thierry...

M.DC.XCI.

Avec privilège du Roy.

 

Cette édition a 6 feuillets sans pagination, pour le titre, la préface, l’extrait du privilège, les noms des personnages ; après le sixième de ces feuillets il y a un frontispice d’après un dessin de J. B. Corneille, et gravé par J. Mariette, représentant la scène V de l’acte V. La pièce a 87 pages. – L’Achevé d’imprimer pour la première fois est du 3 mars 1691.

L’édition in-12 a pour titre :

 

ATHALIE,

TRAGÉDIE,

Tirée de l’Écriture sainte.

À Paris,

Chez Denys Thierry...

M.DC.XCII.

Avec privilège du Roy.

 

Il y a 7 feuillets sans pagination, pour le titre, la préface, l’extrait du privilège et les noms des personnages ; après le septième feuillet, une réduction de la gravure de l’édition in-4. Le texte de la tragédie a 114 pages.

Le texte que nous avons suivi est celui du recueil de 1697.

 


[1] Souvenirs de Mme de Caylus, p. 455.

[2] La lettre de Duguet est citée dans le Port-Royal de M. Sainte-Beuve, tome V, p. 389. On la trouve au tome VI de la Correspondance de Duguet, publiée sous le titre de : Lettres sur divers sujets de morale et de piété, 10 volumes in-12. Le tome VI a été imprimé en 1735. Le passage de la lettre XXXIVe, que nous citons, y est aux pages 347-349.

[3] Français de Rochechouart, marquis de Chandenier, baron de la Tour. Saint-Simon parle de lui comme d’un homme « plein d’honneur, d’esprit et de courage... de beaucoup de goût et d’excellente compagnie, et qui avait beaucoup vu et lu ; il fut Longtemps avant sa mort dans une grande piété. » Mémoires, tome I, p. 348 et 349.) Saint-Simon dit au même passage qu’il avait « vu plusieurs fois M. de Chandenier, avec un vrai respect, à Sainte-Geneviève, dans la plus simple, mais la plus jolie retraite, qu’il s’y était faite, et où il mourut. » Le marquis de Chandenier avait près de quatre-vingts ans, et était déjà sans doute dans sa retraite de Sainte-Geneviève quand Racine fit chez lui la lecture de son Athalie.

[4] Souvenirs, p. 455 et 456.

[5] Mme de Maintenon et la Maison rurale de Saint-Cyr, p. 113.

[6] La Maison de Saint-Cyr, p. 113.

[7] Ibidem.

[8] Le carême commença cette année le 28 février.

[9] Mémoires de Mme de Maintenon, livre VIII, chapitre XV, tome III, p. 188 et 189.

[10] La Maison de Saint-Cyr, p. 113 et 114. – Les premiers mots : « Après cette représentation, » rendent évidente l’erreur de la date du 5 janvier 1691.

[11] Nous savons si peu de chose de ces représentations d’Athalie dans la chambre de Mme de Maintenon, que le témoignage de Boileau sur le succès de l’une d’elles serait particulièrement précieux. Mais la lettre de Boileau à Racine, que M. Aimé-Martin a publiée le premier dans son édition de 1844 (tome VI, p. 197, et qui n’est point dans le recueil donné par Louis Racine à la bibliothèque du Roi, nous paraît avoir été fabriquée. M. Aimé-Martin place cette lettre chronologiquement avant celle du 25 mars 1691, ce qui est impossible. Il dit en note qu’Athalie fut représentée deux fois à Versailles en 1690, que Racine était à la première représentation, qu’il s’agit donc de la seconde. Athalie ne fut pas représentée en 1690. Là du reste n’est pas l’objection contre la lettre elle-même, qui n’est datée que de Versailles, à six heures, sans indication même du jour. Mais voici pourquoi cette lettre nous est très suspecte : « J’ai été appelé, dit Boileau, dans la chambre de Mme de Maintenon, pour voir jouer devant le Roi, par les actrices de Saint-Cyr, votre pièce d’Athalie. Quoique les élèves n’eussent que leurs habits ordinaires, tout a été le mieux du monde et a produit lui grand effet. » Boileau a copié Mme de Caylus, plus qu’il n’était besoin. Pourquoi apprendre à Racine que c’était par les actrices de Saint-Cyr que sa pièce avait été jouée, et avec leurs habits ordinaires ? Racine le savait de reste. On désirerait un détail, qui ne se trouvât point partout. En voici un : « Si j’avais plus de loisir, je vous rapporterais un mot charmant de Monsieur de Chartres sur votre pièce, et qui a fait dire de grands biens de vous par le Roi. » Remettre au lendemain la citation de ce mot charmant est en vérité le fait d’un homme bien pressé. Monsieur de Chartres doit venir là en souvenir du passage de la Beaumelle que nous avons cité : « Mme de Maintenon pria Monsieur de Chartres de s’y trouver. » Mais il eût fallu lire avec plus d’attention ce qui suit. Godet des Marais, le jour où il fut invité à la répétition d’Athalie, n’y vint pas. Est-il très vraisemblable qu’il ait été plus tard invité à Versailles, pour entendre réciter par les Demoiselles de Saint-Cyr une pièce qu’il n’eût pas voulu qu’on leur apprît ? et se le figure-t-on facilement disant un mot charmant, sans doute un mot d’éloge délicat, sur la tragédie, objet de ses sévérités ? On croirait volontiers à une distraction qui aurait fait penser, en lisant ce nom de Monsieur de Chartres dans la Beaumelle, au jeune duc de Chartres, au futur régent.

[12] Tome VII, fol. 115. – Il serait moins difficile de croire l’épigramme de Fontenelle, si l’on en adoptait une version très différente, donnée, d’après un ancien recueil manuscrit, dans les Œuvres de Racine, édition de la Harpe (1807, tome V, p. 285, Additions des éditeurs) :

Pour expier ses tragédies,

Racine fait des psalmodies

En style de Pater noster.

Moins il peut émouvoir et plaire,

Plus l’œuvre lui semble exemplaire.

Mais pour nous donner pis qu’Esther,

Comment Racine a-t-il pu faire ?

Voltaire, qui croit ces vers de Fontenelle, cite ainsi les deux derniers dans son Discours historique et critique à l’occasion de la tragédie des Guèbres (Œuvres, tome IX, p. 16) :

Pour avoir fait pis qu’Esther,

Comment diable as-tu pu faire ?

[13] Tome VII, fol. 113.

[14] Mémoires pour servir à l’histoire de Mme de Maintenon, livre VIII, chapitre XV, tome III, p. 190.

[15] Le Mercure galant dit Joab ; la correction que nous avons faite était nécessaire, parce qu’il n’y a pas de Joab dans Athalie ; en citant l’article du Mercure dans les notes du Journal de Dangeau, on a imprimé Joas, au lieu de Joab. Mais, outre que le comte d’Ayen n’était pas d’âge à jouer le rôle de Joas, ce rôle était, suivant le Mercure, rempli par le jeune comte de l’Esparre. Comme nous savons aussi à qui avaient été confiés ceux d’Abner, de Joad et de Zacharie, il paraît évident que le comte d’Ayen représenta Mathan.

[16] Mémoires, tome III, p. 340.

[17] Lettres de Mme de Maintenon, Amsterdam, M.DCC.LVII, tome V, p. 1 et 2.

[18] Cette première phrase est singulière. Que signifie cette nouvelle chute d’Athalie ? Il semble que Mme de Maintenon veuille simplement dire qu’au moment de la jouer on rencontrait encore une fois des difficultés. Elle annonce pourtant que ces difficultés étaient aplanies. La Beaumelle a peut-être mêlé des lettres différentes.

[19] Le texte de la Beaumelle porte de Mailly. C’est évidemment une faute du copiste ou de l’imprimeur.

[20] Lettres de Mme de Maintenon, tome VII, p. 112.

[21] Dans le Siècle de Louis XIV, chapitre XXVII, dans le Mercure de juin et juillet 1721 (Ire partie, p. 153), et dans plusieurs autres ouvrages, on place les premières représentations d’Athalie au Théâtre-Français en 1717. C’est une erreur.

[22] 1 volume in-12, Paris, Étienne Ganeau, 1716, p. 16.

[23] Pages 183-186. – Dans les Recherches sur les théâtres de France, par M. de Beauchamps, M.DCC.XXXV (in-4, tome II, p. 245), on ajoute à ces détails que le rôle de Zacharie fut joué par Mme Deshayes, celui d’Abner par Poisson fils.

[24] Souvenirs de Mme de Caylus, p. 456. – Dans une note de son édition de ces Souvenirs, Voltaire dit : « La Josabet fardée, c’était la Duclos qui chantait trop son rôle. L’Athalie outrée était la Desmarets (sic), qui n’avait pas encore acquis la perfection du tragique. Le Joad capucin était Beaubourg, qui jouait en démoniaque, avec une voix aigre. »

[25] Lettres de Mme de Maintenon, tome VII, p. 99 et 100. – On trouve aussi au même tome, p. 110, une autre lettre de Mme de Dangeau, où elle dit qu’Athalie « a très bien réussi » sur le théâtre de Paris, et que l’on a trouvé « ce spectacle parfaitement beau. »

[26] Chapitre XXVII : voyez au tome XX des Œuvres de Voltaire, p. 203.

[27] Tome XIV, p. 476. Voyez aussi aux pages 477 et 478.

[28] Pour ces noms, et pour ceux des Demoiselles qui chantèrent dans les chœurs, nous renvoyons aux Mémoires du duc de Luynes. Ce sont des souvenirs qui intéressent seulement les familles.

[29] La Maison de Saint-Cyr, p. 327.

[30] Elle est datée du 3 décembre. Voyez les Lettres de Mme de Sévigné, tome XI, p. 270.

[31] Lettre à d’Héricourt, du 19 décembre 1736, même tome, p. 272.

[32] Voyez sa Correspondance, au mois de juillet 1770 (tome I, p. 206).

[33] Mercure de France d’octobre 1770, p. 153 et 154.

[34] Ibidem.

[35] Page 188.

[36] Une singularité, que l’on trouve consignée dans l’Histoire du Théâtre-Français, depuis le commencement de la Révolution, par Étienne et Martainville (tome I, p. 184), c’est qu’en 1790 (le 23 octobre, jour où Mlle Joly, soubrette de la Comédie française, remplit le rôle d’Athalie), Talma joua un simple rôle de lévite, et qu’il y eut un sifflet qui le poursuivit pendant toute la pièce ; mais c’était la suite d’une querelle de comédiens.

[37] Biographie universelle (tome XXXV, Paris, Mme Desplaces), article Rachel, par M. Édouard Thierry.

[38] Gossec avait écrit les morceaux d’ensemble ; presque tous les solo étaient d’Haydn.

[39] Ce théâtre était alors établi place Favart. Malgré le nom qu’il avait conservé, il y avait plusieurs années qu’il n’avait plus d’acteurs italiens. En 1762 il avait été réuni à l’Opéra-comique ; on y jouait non-seulement des pièces à ariettes, mais des comédies. – À la fin de 1789 le Théâtre-Français avait pris le nom de Théâtre de la Nation.

[40] Voyez le Mercure de juillet 1791, Ire partie, p. 76-78.

[41] Ce compositeur avait été, dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, premier violon de l’orchestre du Théâtre-Français.

[42] Sur la musique composée à différentes époques pour les chœurs d’Athalie, nous n’avons cru devoir dire que ce qui intéresse directement la scène française. En dehors cependant des chœurs exécutés sur notre théâtre, pour remplacer ceux de Moreau, nous en trouvons d’autres dès le dix-septième siècle. Une édition d’Athalie fut publiée en 1697 à Amsterdam, chez Étienne Roger (in-4 de 118 pages), avec les chœurs mis en musique par M. Servaas de Konink. Plus tard (nous croyons qu’il y a environ vingt-cinq ans) Mendelssohn-Bartholdy composa une ouverture et des chœurs pour Athalie. Mais ce fut en Allemagne qu’il fit entendre cette musique, qu’il avait adaptée aux paroles, non de Racine, mais d’un traducteur allemand. Un de nos compositeurs français, qui a consacré son talent à la musique religieuse, M. Félix Clément a aussi écrit de nouveaux chœurs d’Athalie. Ils ont été exécutés à la salle Sainte-Cécile, le 20 mars 1858, par les artistes de l’Opéra.

[43] 2 volumes in-8°, Paris, 1824. Le rapport dont nous parlons est aux pages 231-235 du tome I.

[44] Il faut dire que parmi ces applaudissements tous n’étaient pas également dignes d’un peuple qui aspirait si justement à la liberté, ni en rapport avec les sentiments généreux qui avaient inspiré le porte. Ainsi on battit des mains à ce vers :

Confonds dans ses desseins une reine cruelle.

[45] Histoire du Théâtre-Français, etc., par Étienne et Martainville, tome I, p. 184.

[46] Biographie universelle (édition citée), article Lemontey.

[47] Voyez les Œuvres littéraires de Granier de Cassagnac, Portraits littéraires, 1 volume in-12, Paris, M.DCCC.LII, p. 187-203. – Pour les fautes de français découvertes par M. Granier, contentons-nous d’un échantillon. Racine a dit au vers 1269 :

Armez-vous d’un courage et d’une foi nouvelle.

Il eût fallu dire, selon M. Granier :

Armez-vous d’un courage et d’une foi nouveaux.

[48] Remarques de grammaire, p. 8.

[49] Pages 245-264.

[50] Pages 217-232.

[51] Œuvres de Voltaire, tome V, p. 101.

[52] Ibidem, tome VI, p. 155.

[53] Art dramatique, tome XXVII des Œuvres, p. 97 et 98.

[54] Œuvres de Voltaire, tome LIX, p. 421 et 422.

[55] Ibidem, tome LX, p. 167.

[56] Œuvres de Voltaire, tome VII, p. 431.

[57] Ibidem, tome LXI, p. 58.

[58] Les éditeurs du Racine de 1807, dans une note sur ce passage qu’ils citent aussi, nous avertissent que cet acteur était Sarrazin.

[59] Œuvres de Voltaire, tome IX, p. 18-20.

[60] Œuvres de Voltaire, tome LXVI, p. 178.

[61] Ibidem, p. 105.

[62] Port-Royal, tome V, p. 501-505.

[63] Voyez la note sur le vers 1653 d’Athalie. – Dans l’annotation de la pièce, nous avons fait usage des notes recueillies dans les papiers de Racine, et qu’on avait déjà citées, mais un peu moins complètement, dans quelques éditions de ses Œuvres. Elles se trouvent dans les manuscrits donnés à la bibliothèque du Roi par Louis Racine, qui a mis ce petit avertissement en tête des feuillets où son père les a écrites : « Quelques remarques écrites par Jean Racine, dans le temps apparemment qu’il composait son Athalie. »

[64] Tome II, p. 688, et à la note de la même page.

[65] Études sur les tragiques grecs, tome III, p. 270 et 271.

[66] Gioas, Re di Giuda. Azione sacra, scritta dall’ Autore in Vienna, d’ordine dell’ Imperator Carlo VI, ed eseguita la prima volta, con Musica del Reütter, nella Cappella Imperiale l’anno 1735. – La pièce est divisée en deux parties. On la trouve au tome VI des Œuvres de Métastase, imprimées à Paris en M.DCC.LXXX, 12 volumes in-8°.

[67] Ainsi, dans les Œuvres de l’abbé Conti, on en trouve une, dont Louis Racine a cité quelques fragments dans ses Remarques sur Athalie. Elle est au tome I, p. CLIX-CCLVI du livre qui a pour titre : Prose e Poesie del signor Abate Antonio Conti, patrizio veneto (2 volumes in-4, imprimés à Venise, le premier en M.DCC.LXXXIX). Conti a fait précéder sa traduction d’une Dissertation, où il dit qu’il fit ce travail dans l’automne de l’année 1720, à la campagne de la comtesse de Caylus, qui avait, ajoute-t-il, représenté la pièce de Racine avec les Demoiselles de Saint-Cyr devant Louis XIV et la cour. Il assure avoir souvent entendu dire à Mme de Caylus que Racine préférait cette tragédie à toutes celles qu’il avait composées. – Une autre traduction italienne de la même pièce a été publiée sous ce titre : Atalia, tragedia sacra del sign. Racine, transportata dall’ idioma francese in versi Toscani. Da un Academico Fiorentino, Pisa, 1792, in-8°. – Dans le Journal de Trévoux d’octobre 1752 (p. 2128), on annonce, comme devant paraître prochainement, une traduction d’Athalie en vers espagnols. Elle a sans doute été publiée.

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